dimanche 1 juillet 2012

Extrait de texte

Editions L’Act Mem à Chambéry (2009)
de Bernard Falconnet

Le Père : Elles m’ont dit : c’est pas la peine que tu viennes et elles m’ont laissé là.
Quel jour on est ? Qu’est-ce que ça change quel jour on est ? Je sais pas ils se ressemblent tous. Le mercredi et le dimanche, le 2 juin et le 8 novembre. L’autre jour ils m’ont dit : on est le 5 juin, il neigeait, alors…
J’ai pas toujours été comme ça, ah non, j’étais mieux avant. Ma femme aussi. On était mieux avant. C’était mieux avant. Elle s’est mise à boire tôt. Jamais su pourquoi, elle avait tout ce qu’elle voulait. Parfois il faudrait faire preuve de discernement avec l’alcool. Moi j’étais jeune, j’étais… vert, sportif. Et musicien, je me rappelle. Je jouais dans la fanfare municipale, de l’hélicon. J’avais choisi l’hélicon. C’est gros un hélicon. Je me disais, comme ça, je pourrai me cacher derrière.
En fait ça marchait pas bien. Quand il y a un hélicon dans une formation tout le monde regarde l’hélicon. Et à tous les coups ça excite la curiosité. Les gens veulent savoir qui il y a derrière. Ils veulent connaître la tête de l’hélicon. J’étais devenu, à mon corps défendant, la star de la fanfare. D’ailleurs mes camarades m’appelaient la star, ou Starhélicon. Ça me faisait penser à Fellini.
Ma femme, elle, m’appelait Staralacon. L’hélicon ça ressemble au soubassophone, vous voyez ? Ça se porte comme ça. Vous le passez là, sur l’épaule, comme un sac à dos, et là, devant, ça ferait le tour. Bon, là ça passerait pas parce qu’il y a la chaise. Ensuite vous avez là les pistons, les pistons et puis l’embouchure, pour souffler. Et puis là le pavillon, il est plus haut, mais… avant j’avais pas cette raideur, ça c’est un accident de voiture coup du lapin, et puis après j’ai pété un anévrisme. Ils ont dit il y aura des séquelles, ben y’en a pas trop. On se tient.
Je me souviens pas bien ce que j’ai fait ce matin mais on se tient.

                                                                                                                                                                

« La mère, le père, trois filles. Un repas de Noël, une dinde, la vie à avaler. La mère à boire.
A tomber, à se couper, à saigner.
Hôpital, sirène, angoisse, parole. Chacun(e) a sa chose à dire.
Sa pelote de mots à dévider.
Les petites scènes s’épanchent de la plaie.
Ca suppure, ça suppose, ça pontifie, ça s’expose.
La liste des courses côtoie la course après le rien, la comptabilité des extases, la mémoire des morts. Les dominos des vérités se télescopent, se touchent maladroitement. Ce qui s’écoule s’écroule un peu, pour finir. Et produit un léger bruit de verre brisé.
A cet éclat si familier, nos oreilles universelles acquiescent. Cette musique fraternelle, cette collusion entre catastrophe et banalité.
Ecrire comme ça, ce n’est pas (seulement) du jeu. C’est un art du mélange, clin d’œil à l’œnologie et leçon de vie ordinaire.
Bernard Falconnet a élaboré un cru subtil. Cruauté fine, science maîtrisée du trop-plein familial. Note d’humour en fin de bouche.
A la vôtre. »

Danielle Maurel
Quatrième de couverture



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